Anne-France Sterpin
5/5
Un lundi matin, sortie de Paris. Bouchons. Panneaux. « Neuilly Plaisance » ressemble à l’appel des mouettes depuis les rangées de voitures. Un petit pain au chocolat. Vite. Clignotant, Google maps, boulangerie. Place de parking miraculeuse, devant un tabac. Sur le trottoir, je longe une vitrine étonnamment propre. Un petit vide poche en cristal coloré me fait de l’œil. Je n’ai pas le temps de regretter qu’on soit lundi matin que la porte s’ouvre sur un visage souriant. Une voix bienveillante me propose d’entrer « même si c’est fermé, je travaille quand même ». Je reçois une carte de visite mais sans la regarder, je la range dans mon portefeuille. J’aime à me faire mon opinion, la communication a peu de secret pour moi. Une boutique d’antiquaire, qui sort des sentiers battus. De petits objets, beaucoup. Intéressants. Des prix qui incitent au cadeau, depuis une trentaine d’euros jusqu’à une centaine. Une boîte à biscuit en cuivre qui doit frôler les 100 ans que je pourrais offrir en guise de boîte à déjeuner à mon amie pour son anniversaire. Des couteaux à manche d’ivoire. Beaucoup de petits bronzes. Un bonheur du jour en marqueterie d’essence riches; du bois de rose, des arbre fruitiers devenus meubles. Au fil de la visite qu’il m’offre de son antre, le visage, vaguement familier, du commerçant affiche un panel d’émotions en présentant sa collection et plus encore son métier d’ébéniste, le premier. Il m’invite dans son atelier. C’est un honneur, je le sais, en petite nièce d’artisan du bois. Le registre avait changé dans la seconde salle. Lithographie, eau-forte, encadrement d’origine ou modernisés avec goût pour intégrer un intérieur à la page, une magnifique Athena glissant sur un arc en ciel soutenue par une ombrelle chinoise. François m’explique que c’est le jour, qu’il manque son pendant, la nuit. Il ne tarit pas d’anecdotes sur ses objets, son travail. Il semble un peu stressé. Change de pièce pour fumer pendant que je m’attarde. M’explique qu’il prépare l’atelier pour un tournage. Je lui demande si c’est pour son site web ou une publicité. Il me regarde en inclinant un peu la tête, perplexe. Me demande si je ne l’ai pas reconnu. Je sens bien que je rate un truc mais… « vous ne regardez pas « Affaires conclues » »? Je lui réponds que je regarde peu la télé. Vrai et faux, quand je tombe sur l’émission, je ne la lâche qu’à la fin. Il se présente. Je me sens infiniment gênée par le temps que je lui ai pris. Le remercie pour celui qu’il m’a consacré. Mes achats étaient faits avant que je ne le reconnaisse. Heureusement, il aurait pensé que je me suis sentie obligée alors que ce sont de vrais coups de cœur que j’ai ramené de l’autre côté de la frontière. N’allez pas à cette adresse pour voir l’acheteur/vendeur d’une émission télévisée. Prenez le temps de regarder autour de vous, laissez François vous expliquer avec le sourire qu’il vend - sous cloche! - le rouleau de papier WC le plus cher et le plus ancien jamais retrouvé. Écoutez-le vous raconter à quelle soirée servira la petite table en plastique orange repliée entre les deux pièces avant. Demandez lui ce qu’attend cette paire d’aile d’archange grandeur nature sur une étagère. Au delà de sa timidité, regardez la lumière dans ses yeux quand il parle de son métier. Une poignée de main et la promesse de repasser lors de ma prochaine traversée de Paris. Décidément, cette boîte à biscuit me plaisait bien. Mais il faut savoir garder des plaisirs pour plus tard. J’ai fini par manger mon pain au chocolat au bord de la Marne. Mais pas de penser à la personne que j’ai rencontrée. Un amoureux de son métier. C’est devenu tellement rare. Zut. Dans l’intensité du moment, je n’ai même pas pensé à lui demander un selfie. Ce sera pour la prochaine fois. Mais j’oublierai. Parce que je sais déjà que ses trésors et ses histoires occuperont tout mon esprit. Et que je ne sortirai pas les mains vides. Merci, Monsieur.